Buddhistische Gemeinschaft Schweiz

 



Faut-il améliorer la création ? (Muss die Schöpfung verbessert werden?)

Conférence de  Rolf Hafner tenue le 21 août 2002 lors du Forum de la bioéthique à l’exposition nationale, organisé par la Société Suisse de l’Ethique biomédicale

Bouddha admetterait-il l'idée de changer la nature de l'homme par la voie génétique?

Quand on regarde le monde, il est bien évident, que les conditions de vie sont pour une très grande partie de la population mondiale pas bonnes du tout. Beaucoup de personnes doivent en effet vivre dans des conditions affreuses et ces souffrances sont bien souvent directement causées par l'homme lui-même. Ce ne sont pas seulement des maux tels que la pauvreté, l'accroissement toujours incontrolé de la population et la dégradation de l'environnement qui affligent les plus démunis; Leurs tourments proviennent souvent en premier lieu des injustices, de l'inégalité de traitement, des abus de pouvoir politique, du non-respect des droits de l'homme et en particulier de multiples guerres. Même en Europe où on a pensé qu'après les destructions de la deuxième guerre mondiale on serait capable de résoudre les problemes d'une façon non violente, on est confronté à des guerres classiques entre diverses ethnies comme au Balcan et en Russie ou avec des conflits toujours virulents comme en Irlande du Nord, dans le pays Basque etc... Quand on analyse tous ces conflits il faut malheureusement constater qu'on ne peut expliquer ces derniers qu'en acceptant la nature aggressive de l'homme. Cette nette tendance à la violence peut être incitée et stimulée par des idées religieuses qui peuvent prendre des formes absolues, exclusives ou même totalitaires. Ce n'est donc pas un hasard si les conflits les plus cruels éclatent entre des éthnies appartenant à différentes religions comme par exemple au Proche Orient, au Cashmir et en Tchétchénie. Il n'est partant pas étonnant que le terme clash of civilisations soit devenu une notion courante dans les discussions politiques.

Vu que tous ces conflits et manifestations de violence dominent à une large échelle les gros titres des médias il convient d'en connaître les causes et les origines. Est ce qu'il faut capituler devant la violence et les souffrances qu'elle engendre? Non. Pas du tout. Bouddha a donné des explications et des réponses à cette question cruciale, il y a de ça 2500 ans déjà.

La philosophie des Quatre Nobles Vérités et du Noble Octuple Sentier constitue la base de l'enseignement du Bouddha historique Shakyamuni. Il n'est naturellement pas possible de vous initier à celle-ci dans le cadre de cet exposé. J'aimerais toutefois en quelques mots vous en donner un bref aperçu. Cette philosophie prend comme point de départ le fait que notre souffrance est manifeste: Rien que le fait que nous vieillissions, que nous tombions malades et que nous devions tous mourir un jour et donc abandonner tout ce que nous avons créé, démontre que nous souffrons. Le caractère éphémère de tous les phénomènes qui nous entourent et qui caracterisent notre vie, notamment nos relations familiales, nous fait souffrir. Mais malgré ces événements qui nous révèlent souvent la nature vaine de nos efforts et qui nous rendent ainsi insatisfaits, nous arrivons quand même à accepter cette situation et à vivre avec elle. Vivre avec cette réalité est d'autant plus difficile que notre nature nous pousse à nous attacher à tous ces phénomènes éphémères. Cela consititue sans aucun doute le noeud du problème que j'aimerais résumé en une formule simple: Nous sommes sans cesse en train de désirer le beau et l'agréable et de repousser le vilain et le mal. Nous ne pouvons ainsi nous sentir en harmonie avec nous-même. Etant donné qu'il n'est pas possible d'obtenir tout ce que nous désirons et d'éviter ce qui est déplaisant et désagréable, nous sommes frustrés, mécontents et envieux de ceux qu' on croit plus couronnés de succès. Et toutes ces frustrations peuvent provoquer la haine, la fureur, l'aggression et finalement la violence. Le manque d'analyse de ces faits et le manque de connaissance de leurs origines renforcent nos illusions, ce qui provoque encore plus de problèmes. Nous risquons de devenir la proie d' idéologues totalitaires qui nous promettent des solutions faciles sous condition que nous nous soumettions à eux sans condition.

Comment Boudddha a-t-il interprété les sentiments de la haine et de la violence? Partant de la doctrine du Non-Soi, il nous enseigne de les comprendre comme des phénomènes impersonnels et de ne pas nous identifier à eux.

Qu'est ce q'il aurait dit, s'il avait connu toutes les possibilités que nous offrent la technique et la médecine moderne pour guérir la plupart des maladies et soulager nos souffrances?; Comment se serait-il prononcé, s'il avait connu les avantages du progrès scientifique qui a rendu notre vie plus agréable. Selon son enseignement je suis pérsuadé qu'il aurait approuvé tout ce qui est susceptible de nous faire moins souffrir. Bouddha nous a demandé de prendre notre destin en main et de déveloper nos sentiments de bonté, de compassion et de joie. Il se serait certainement réjoui du progrès scientifique. Mais il aurait en même temps insisté sur le fait que le progrès ne change en rien notre condition: Malgré ces nouvelles découvertes, nous devons quand même mourir et donc quitter tout ce qui nous est précieux. Le progrès médical et les aquisitions qui nous rendent la vie toujours plus agréable, ne nous font pas automatiquement moins souffrir, tout au contraire. Nos angoisses de perdre tout ce qui nous est cher, matériel et immatériel, n'ont pas disparu, malgré une sécurité sociale jamais connue dans l'histoire de l'humanité. Plus nous possédons de choses matérielles, plus nous nous y attachons et plus nous avons peur de les perdre. Les souffrances n'ont donc pas diminué. La désespérance et le suicide n'ont pas disparu et les maladies psychiques sont en augmentation selon les dernières statistiques des hôpitaux psychiatristes. Il serait ainsi sans aucun doute une erreur de penser que les résultats de la recherche scientifique, notamment medicale, permettra de résoudre les problèmes de l'homme moderne. Les agréments, le "fun" de la vie moderne, ne nous ont pas épargné les excès toxicomanes. Il est donc évident que tout le progrès et toutes les commodités, le "new lifestyle" avec un hédonisme souvent poussé à l'extrème, ne nous a pas facilité la tâche de supporter tout ce qui n'est pas parfait et idéal dans notre vie. La consommation de toutes les prestations que nous offrent notre société du 21ème siècle ne nous apporte pas automatiquement le bonheur. Nos besoins restent insatisfaits. Nos réussites ne nous satisfont pas longtemps. Nous ne sommes pas capables d'apprécier suffisamment tout ce que nous avons. Si nous ne manquons pas de nous plaindre lorsque nous tombons malades, il est très rare que nous nous réjouissions de notre état quand nous sommes en bonne santé. La condition humaine est presque tragicomique.

Le Bouddhisme ne connait pas le terme "création". Bouddha n'était qu'un homme ordinaire. Il n'a rien de surnaturel. Il n'a jamais prétendu qu'il était un dieu ou qu'il disposait de forces surnaturelles provenant d'un dieu. La question de savoir pourquoi il y a ce monde et pourquoi nous nous y trouvons n'a aucune importance dans son enseignement. Le monde n'est pas la création d'un dieu créateur tout puissant. Le bouddhisme porte toute son attention sur l'évolution. Rien ne reste comme il est. Rien n'est stable. Cette notion distingue le bouddhisme des trois autres religions mondiales, le judaisme, le christianisme et l'islam. L'homme n'a par conséquent pas à être reconnaissant ou responsable pour une "création" vis-à-vis d'un être surnaturel. Il ne peut donc pas commettre un péché et subir une punition s' il devait violer des lois prétendues divines. Il n'y a pas de lois divines qui interdirait à l'homme de changer ses conditions de vie, y compris d'intervenir dans sa nature et son potential génétique. L'homme est donc seul responsable face à de telles interventions et changements.

Mais le manque de lois divines ne signifie pas qu'il n'y a pas de recommandations éthiques dans l'enseignement de Bouddha. En résumant de façon brève cette philosophie, il faut en particulier s'abstenir d'agir d'une façon qui cause des souffrances à l'autrui. Il faut s'abtenir de faire aux autres tout ce qu'on aimerait pas qu'ils nous fassent subir. En effet, selon la loi du karma, nous sommes les héritiers de nos propres actions. Si nous causons du mal , le mal reviendra chez nous. Naturellement il ne faut pas tuer. Mais Bouddha n'a pas defini le commencement de la vie humaine. On peut ainsi dire que seuls les femmes et les hommes, c'est-à-dire les parents, sont responsables de leur potentiel génétique et donc libre d'en disposer, tant qu'ils ne nuisent pas aux autres. L'homme dispose donc d'une grande liberté vis-à-vis de sa vie. Rien ne l'empêche - dans les limites du respect des autres êtres vivants - de créer son environnement selon sa façon et de prendre avantage de toutes les possibilités qui nous sont mises à disposition par le progrès scientifique notamment dans le domaine de la médecine. Il ne faut donc accepter que ce qu'on ne peut pas changer. S'il est possible de surmonter une infertilité ou si la fertilisation in vitro peut permettre à une femme d'avoir un enfant, cette dernière est libre de disposer de ces possibilités, y compris de l'insémination hétérologue. Les parents ont également le droit d'utiliser toutes les techniques modernes afin d'éviter le risque de la naissance d'un enfant handicapé, notamment dans les cas ou il y a un risque élevé de maladies génétiques. Il va de soi que seule la femme est habilitée à décider si elle veut donner la vie à un enfant ou non. C'est par conséquant aussi dans la compétence et dans la responsabilité des parents de décider si ils veulent céder leurs embryons à la recherche portant sur les "cellules souches". Les parents et en premier lieu la femme dispose d'une grande autonomie dans ce domaine.

Mais c'est à la société de décider par la voie démocratique sous quelles conditions elle est prête à accepter la sélection d'embryons afin de créer des enfants les plus idéaux dans leur potential génétique. On ne peut pas tirer de l'enseignement de Boudddha une telle interdiction. Encore une fois on peut prendre la position que c'est dans l'autonomie et dans la résponsabilité des parents et des médecins d'aller au-delà du voeux d'avoir un enfant saint. S’il devait être une fois possible de créer des enfants plus intelligents avec des caractères paisibles, il n'est pas à exclure que de telles perspectives pourraient aboutir à faire un monde tout à fait différent d'aujourd'hui avec peut-être moins de souffrances dûes à la nature imparfaite, notamment aggressive et violente, de l'homme actuel. D'un autre côté, de telles perspectives incluent le danger d'abus de ces méthodes par des régimes totalitaires. Mais ces risques mettent en danger tout le progrès scientifique et il serait naïf de penser que des puissances totalitaires se laissent freiner par des lois. Il faut les combattre avec d'autres moyens, notamment ceux du droit international.